Avec les beaux jours de 1940, les Allemands profitent de la faille de la ligne Maginot au nord de la Belgique pour faire une percée éclair dans les lignes ennemies.
C’est la panique générale dans tout le nord de la France. Les familles réunissent quelques affaires et fuient.
Partir pour où ? Combien de temps ?
Cyrille et Anna en font autant, car ce sont les ordres. Ils prennent le strict nécessaire pour eux et leurs quatre enfants et quittent leur petite ferme. Ils ne peuvent pas prendre les bêtes qui les ralentiraient et laissent à regret la vache qui vient de mettre bas. La petite Nicole du haut de ses 3 ans regarde derrière elle les petits canetons nés quelques jours avant et qu’elle aimait tant.
« Quand qu’c’est qu’on est parti en exode, y avait une génisse qui v’nait d’vêler. Donc on a tout laissé puisqu’il fallait s’en aller ! C’était ordre du gouvernement fallait s’en aller. Il était prévu de faire un front militaire sur la Loire. Et tout le monde s’en allait ! Alors les bêtes elle restait là, on pouvait pas les emmener sur les routes. Et puis l’gouvernement il s’en foutait ! Seulement c’te génisse qu’avait eue son veau un jour ou deux avant, elle a jamais voulu laisser téter l’veau. Seulement ça y avait fait un empoisonnement du sang parce que comme le veau pouvait pas téter, ben le lait l’a empoisonné. »
Ils sont des milliers déversés sur les routes de France sans toujours savoir où ils vont. C’est le cas pour cette famille qui décide de descendre vers le département du Cher. Ils partent à deux voitures à cheval avec le voisin.
Et papa ou Roger suivent avec le vélo, afin de faire les courses aux villages avec. La progression est lente. Ils passent par Vierzon, et arrivent à Vatan petite ville au-dessus d’Issoudun à plus de 100 km de leur point de départ. Pour les enfants comme pour les adultes c’est une catastrophe. Ça change toutes les habitudes, on ne sait pas comment ça va finir…
Sur la route, on se nourrit de ce que l’on a emporté avec soi, que l’on complète par quelques achats dans les fermes sur la route. Mais il n’y a pas beaucoup d’argent et on ignore comment sera le lendemain et s’il faudra tenir longtemps comme ça, donc on se montre prudent et on consomme peu. Pour dormir, la nuit, on installe un campement de fortune sous la charrette.
Aussi, on s’informe de l’avancée des Allemands comme on peut. L’information relayée de famille en famille circule dans les longues processions. Parfois, on a aussi des informations par ceux qui circulent en voiture et ont une radio à galène, mais là aussi l’information est parcellaire et parfois contradictoire avec le suivant. Le plus sûr, c’est par les affichages sur les mairies où est imprimée, jour après jour la progression précise des Allemands. C’est pour ça que dès qu’un village est en vue, Cyrille se dépêche de prendre son vélo pour aller lire les nouvelles.
"Fin de la guerre"
Finalement, ils apprennent l’arrivée du maréchal Pétain au gouvernement, le héros de la Première guerre et de la guerre du rif auprès de l’Espagne. Il décide immédiatement de l’arrêt de la guerre et c’est par les mêmes canaux de communication que les petites gens apprennent l’appel de Pétain pour l’arrêt des combats le 17 juin 1940.
Ils apprennent 5 jours après que c’est effectif et que l’armistice est signé.
« Ah ben Pétain, c’était un dieu ! Il avait arrêté la guerre ! Il avait signé l’armistice… Alors avec les milliers d’gens qu’étaient sur la route… Et qu’on avait l’autorisation d’pouvoir rentrer chez soi, d’pouvoir retrouver c’qu’on pouvait… On a changé d’avis bien plus tard, quand on s’est aperçu que d’un côté y rassurait les gens, il faisait croire aux gens qu’il sauvait la France et puis finalement y la vendait ! »
S’en suit alors une confusion dans tout le pays. Les uns continuent leur fuite vers le sud pour s’éloigner plus loin, au-delà de la ligne de démarcation qui les sépare de la nouvelle zone occupée (notamment les Juifs), les autres se dépêchent de rentrer chez eux afin de se réapproprier leurs biens au plus vite pour ne pas être la proie des pillards dans cette débâcle, et surtout, de repasser la ligne de démarcation avant qu’elle ne soit fermée (le lendemain ça ne serait peut-être plus possible).
Le retour
C’est ce que décident de faire Cyrille et Anna qui se hâtent de retourner auprès de leurs bêtes et de reprendre au plus vite les cultures pour s’assurer quelques subsides pour l’hiver.
« Sitôt qu’les Allemands ont gagnés toute la France, papa a été s’renseigner, à la gendarmerie, il nous a laissés un soir. J’me rappelle le soir fallait bien qu’on arrête et il a été voir à la gendarmerie pour avoir une autorisation auprès des Allemands pour pouvoir r’venir. Parc’qu’une fois qu’les Allemands étaient là, on circulait pas comme on voulait. Donc, il a dit à l’Allemand qu’il voulait rev’nir chez lui.
J’me rappelle il est venu en rigolant il dit “il est marrant l’boche, y dit, il m’a dit d’rentrer par vos propres moyens, mais y dit le con ! Il dit comment qu’on est v’nu ?” J’me rappelle toujours. Ça m’avait marqué parce que moi j’étais un peu timorée, un peu collet monté.
J’aimais pas les gros mots… Et ça m’avait surpris d’entendre papa dire une grossièreté, parce que papa était contre toutes grossièretés. »
Ils refont le chemin inverse, repassent par les mêmes villes et arrivent chez eux épuisés. Le voyage aura duré quinze jours mais seulement trois jours auront suffi pour le retour.
Les bêtes sont encore là, sauf le petit de la vache qui n’a pas survécu et une génisse qui était trop jeune. Les bêtes sinon n’ont pas souffert dans cet été doux et ont même bien profité des récoltes dans les champs. Il n’y a plus rien à récupérer… Ce que les animaux domestiques n’ont pas mangé, a grillé sur pied ou a été dévoré par les bêtes alentour. Après avoir tout remis en état, la famille se réinstalle et se prépare pour tenir l’hiver. On récolte ce que l’on peut de produits sauvages de la nature et on engrange ce qui peut l’être.
Le mois d’octobre est très pluvieux comme le moral général. Les soldats partis reviennent peu à peu, les visages fermés. Les prisonniers restés en Allemagne ne seront rapatriés qu’entre 1941 et 1945. La vie se réorganise avec l’occupant, les privations, les tickets de rationnement…
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