Née à Prague, alors dans l’empire autrichien, dans une famille aristocratique intégrée dans le système politique et militaire de l’empire, Bertha est une jeune fille éduquée, polyglotte et qui voyage beaucoup à travers l’Europe. Elle a l’esprit vif et curieux et a lu tout Descartes à 13 ans, mais aussi Kant et bien d’autres. Elle est portée par l’esprit des lumières et est une évolutionniste darwinienne fervente au nom des lumières et de la science. Son père est mort avant sa naissance et en 1873, c’est la faillite, car sa mère est addicte aux jeux d’argent. Bertha quitte alors son confort pour travailler en tant que gouvernante des filles du Baron Von Suttner.
Elle y rencontre le frère des filles Suttner, Arthur, qui malgré ses sept ans de moins la courtise. Elle est renvoyée par la famille lorsqu’ils apprennent l’idylle qui dure depuis deux ans et va donc travailler une semaine en tant que secrétaire et préceptrice chez Monsieur Alfred Nobel. Elle se lie d’amitié avec lui et ils garderont une correspondance jusqu’à la fin de sa vie.
Mais pour l’instant, elle s’enfuit avec son bien-aimé et ils se marient dans l’actuelle Géorgie, qui à l’époque est dans le Caucase russe. On est en 1876. Ils y restent 9 ans avant de finalement être acceptés par la famille Suttner, chez qui ils retournent. Mais ils ont vu la guerre de près, et ont beaucoup lu sur une Europe idéalisée, comme le discours de Victor Hugo de 1849 sur les États-Unis d’Europe. Leur retour en 1885 est donc une vision terrible entre antisémitisme, nationalisme, impérialisme et militarisme. C’est là que leur engagement militant commence.
Elle écrit des articles dans un journal de référence dans l’empire, sur l’antisémitisme. Puis, elle crée une association, avec des conférences et des brochures, c’est sa première action militante. Elle s’oriente ensuite vers un engagement pour la paix et son mari reste sur le combat contre l’antisémitisme tout en la soutenant dans toutes ses actions, jusqu’à sa mort en 1902 ; elle parle de plus en plus de pacifisme dans les médias, mot créé depuis peu par un Belge.
Elle rajoute même dans son livre, prêt à l’édition « l’ère des machines » un 9ᵉ chapitre où l’humanité, par le biais des associations pacifistes, arrête la guerre.
Mais c’est en 1889 qu’elle écrit « Bas les armes » roman dans lequel une femme noble de l’Europe centrale traverse les cinq guerres de cette époque. Elle décrit de façon très naturaliste les horreurs de la guerre, les entre deux guerres permettent, entre autres, des réflexions sur la guerre dans le quotidien. Elle met en valeur de nombreux documents réels, des déclarations officiels qui démontrent l’enchaînement des faits jusqu’à la guerre, pour en montrer l’absurdité et déconstruire les propos qui y sont tenus.
Elle présente son héroïne seule face à sa famille et à une société qui considère la guerre comme un outil pour l’équilibre des différentes puissances et une opportunité de progrès technologiques et sociaux.
Lors de la publication, le succès est immense, il est édité à plusieurs reprises et atteint deux millions de tirages dans douze pays. Tolstoï dira, après avoir lu la version russe, qu’il est l’ouvrage de référence pour sortir de la guerre, comme « la case de l’oncle Tom » a œuvré contre l’esclavage.
De son côté, Bertha constate, lors des congrès internationaux pour la paix, qu’il n’y a pas d’Autrichien ni d’Allemand, qui considèrent que les réponses à tout passent par les armes. Elle sollicite donc la bonne société de son carnet d’adresses et y crée une société pacifiste.
Ses objectifs sont multiples et sont de plus en plus clairs au cours de ses années de militantisme. Elle se mobilise pour le désarmement, la création d’instances de régulation des relations internationales (arbitrage, police internationale (futurs casques bleus), cour judiciaire) et l’éducation à la paix, notamment dans la bonne société (elle conseille d’interdire les jeux guerriers, d’enseigner les droits de l’homme et le respect de l’autre dans sa différence).
Au congrès universel de Berne en 1892, elle ose présenter une motion (la première présentée par une femme) qui porte son nom et propose la création d’une confédération des États de l’Europe (sur le modèle suisse). Elle sera adoptée avec un changement de terminologie en « union fédérale des États ».
Dans son pays, elle n’a pas que peu de rapports avec le pouvoir, mais à l’étranger, elle rencontre au moment de son prix Nobel le nouveau roi de Norvège, et permet d’ailleurs, par ses rencontres avec ce dirigeant, d’éviter une guerre entre la Norvège et la Suède qui s’étaient déjà militarisées. Elle est aussi reçue comme une reine au Danemark et de façon très officielle par le ministre des Finances français pendant une conférence de la paix à Rouen. Lors de ses voyages aux USA, elle rencontre les présidents Roosevelt puis Taft. Dans le cadre de la création de l’instance de La Haye, elle passe quatre hivers à Monaco où elle rencontre beaucoup de personnalités importantes. Elle correspond régulièrement avec Jean Jaurès qu’elle a rencontré à la première conférence de la paix de La Haye en 1899.
Chaque année, elle participe au Congrès pour la paix, grâce aux aides financières de Nobel, avec qui elle correspond toujours et qu’elle inspirera par son engagement pour sa création à titre posthume de ses prix Nobel, dont celui de la paix. Mais elle participe aussi à la création et au développement de nombreuses autres instances pour la paix dans son pays comme à l’étranger.
En 1905, elle reçoit le prix Nobel de la paix et dans son discours parle des États-Unis d’Europe. Elle est la première femme à recevoir le prix Nobel de la paix et la deuxième pour un prix Nobel après Curie en 1903 (avec son mari et Becquerel). Après elle, il faudra attendre 1931 puis 1946 pour voir des femmes prix Nobel de la paix, mais conjointement avec un homme. La deuxième femme à l’obtenir seule sera sœur Térésa en 1979. En tout, sur 138 lauréats, 92 furent des hommes, 27 des organisations et 19 des femmes.
En parlant d’organisation, en 1891, lors du congrès de Rome, elle aide à la création du Bureau International Permanent de la Paix. Elle est la première coprésidente et seule femme sur douze membres.
En 1910 : le prix Nobel pour la paix est attribué au bureau international permanent de la paix. Ce qui signifie qu’elle reçoit d’une certaine façon un deuxième prix pour sa carrière pacifiste. Entre 1901 et 1982, ce ne sont pas moins de treize membres de cette institution qui recevront le prix Nobel de la paix à titre individuel.
Ainsi, si Simone Veil fut la première présidente du parlement européen, c’est aussi une femme qui participa grandement à en construire les bases pour une société pacifique. Pourtant, elle est oubliée dans l’Histoire, jusqu’en 1943 où elle réapparaît, dans quelques chapitres, du livre « le monde d’hier ». Puis, en 1952, sa vie est relatée dans un film « Le cœur du monde » présenté à Cannes et traduit aux USA comme « The Alfred Nobel story ». De même, le film de 2015 « Madame Nobel » la cache encore derrière ce nom d’homme alors qu’il parle d’elle…
Petite anecdote de l’histoire, c’est aussi elle qui, la première, aurait cité le terme de « guerre mondiale » alors qu’elle est morte le 21 juin 1914, soit sept jours avant l’attentat de Sarajevo qui entraînera le monde dans la première d’entre elle.
Si vous souhaitez mieux la connaître, le livre « Bertha la paix » d’Antoine Jacob vient de sortir en octobre dernier.
Pour cet article, tant la période est complexe et pour m’assurer de ne lui attribuer que ce qui lui revient de droit, j’ai dû croiser de nombreuses sources que je ne peux pas toutes citer. En voici quelques-unes :
https://www.nobelprize.org/prizes/peace/1905/suttner/biographical/
https://histoireparlesfemmes.com/2013/11/11/bertha-von-suttner-premiere-prix-nobel-de-la-paix/
https://www.grainesdepaix.org/fr/ressources/sinspirer/auteurs/von_suttner_bertha
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-avoir-raison-avec-bertha-von-suttner
Bertha apparaît aussi dans le taler d’Europe, je vous laisse admirer :
https://www.hall-wattens.at/fr/le-taler-deurope.html
.
Image de couverture :
Post of Georgia, Public domain, via Wikimedia Commons
J’espère que cette histoire vous a plu. N’hésitez pas à la partager pour que Bertha Von Suttner retrouve ses lettres de Noblesse.
0 commentaire