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Aujourd’hui, je ne vous parlerais pas d’un objet qui rappelle le passé, mais de mouche…

Avez-vous remarqué comme l’esprit est taquin, et peut parfois nous jouer des tours ?

Proust déjà nous parlait des madeleines de sa mère qui lui faisait traverser le temps et l’espace pour retourner chez sa tante Léonie. La sensation gustative provoquait chez lui le phénomène de réminiscence.

Laissez-moi vous narrer l’histoire d’une reconnaissance par l’ouïe.

Il faisait chaud et je me suis installée sur le canapé pour lire un peu. J’avais ouvert la fenêtre, qui laissait passer un léger parfum de rose. Dans le coin, j’avais pris soin de me placer un verre de menthe avec quelques glaçons que je laissais fondre.

Toute à ma lecture, je laissais la nonchalance m’envahir et mes yeux lourds commençaient à se fermer sur la dernière ligne maintes fois relue. Dans cette douce torpeur, je partais lentement vers un ailleurs que j’accueillais avec délectation.

Soudain, le voile tenu de mes pensées fut violemment déchiré par un bourdonnement d’ailes au son grave. Je reconnus tout de suite le bruit caractéristique d’une mouche qui venait de survoler mon visage et se faisant, de m’extirper violemment de mon jeune sommeil.

Je n’y prêtais pas attention et tentais de reprendre ma quiétude mentale pour refermer le voile. Mais j’entendais depuis la pièce voisine derrière moi, mon mari s’agiter pour tenter de repousser l’intruse.

Il semblait agacé de cette perturbation qui avait dû le prendre lui aussi dans son premier sommeil. Curieusement, je ne ressentais pas cet énervement. Non que l’intrus ne m’ait réveillée moi aussi, alors même que je déteste être dérangée dans mon sommeil, mais là, aucune rancune…

Je cherchais alors ce qui provoquait cette indulgence face à cette coupable évidente d’un crime de lèse-majesté. Je ne ressentais pas de tension face à cette injustice flagrante, alors que le bruit d’un de mes enfants m’aurait fortement déplu. Je me montrais d’une grande clémence face à une mouche, avec laquelle je n’avais pas d’attache…

Toujours enclin à une fatigue certaine, je laissais cette idée me traverser, et reprenais ma descente au pays des songes. La descente bien entamée, la mouche repassa près de mon oreille, mais ne me réveilla pas vraiment. Elle s’intégrait dans mon rêve et y prenait sa place, dirigeant mon esprit dans une direction plus consciente.

Je me retrouvais donc dans la maison de ma grand-mère fauteuil, transat, canapé… Je n’étais pas dans un endroit précis. Mais il y avait cette sensation familière d’une scène vécue de nombreuses fois. Un après-midi où tout est calme. C’est l’heure de la sieste, et même sans dormir, c’est un temps calme où tous se posent. La maison est silencieuse. Les parfums du jardin de Mamie circulent de pièce en pièce. Le bruit du vent dans les arbres emmène avec lui les chants de la mésange ou du troglodyte. J’ai encore dans la bouche le goût des « merises » acide de l’arbre près de moi, ou peut-être est-ce celui des groseilles que mamie a gardé pour moi sur un des buissons du fond du jardin… (les autres sont déjà en confiture, dont un pot qui m’a régalé ce matin.).

L’air frais passe par moments sur mon visage et je me suis couverte de son vieux duvet bleu qui, tout fin et défraîchi, suffie à couper la sensation désagréable, pour ne laisser qu’une douce tiédeur réconfortante. Je sens la queue de mon chat qui passe légèrement sur ma main par moments, et son corps pesant sur le côté de ma jambe.

De temps en temps, on entend le caquètement des poules de la voisine derrière le grillage au fond du jardin. Je passerais leur donner quelques herbes tout à l’heure quand j’irais picorer mes groseilles. On dirait que même le bruit du tracteur s’est éloigné vers le bout du champ, près de la forêt.

Au milieu de ce décor, la mouche y est à sa place, comme les libellules silencieuses, les moucherons et autres petits insectes. Toute une vie qui bouge autour de moi dans un chant de chœur. Et parfois, un son plus puissant semble s’imposer puis repart dans l’harmonie globale.

Tout est simple et de concert avec ce qui m’entoure.

Même l’avion militaire qui parfois passe bruyamment dans les hauteurs ne semble pas perturber ce bel agencement.

C’est la voix de mon fils dans son lit qui tout à coup ne rentre pas dans le tableau, et me réveille doucement par ses gazouillis. J’émerge lentement et remarque la mouche qui passe au-dessus de moi. Elle semble esseulée et pas tout à fait à sa place dans ce décor de ville. « 

Voici donc l’explication… Une mouche n’est pas un insecte dérangeant pour moi. C’est un être rassurant, une continuité entre passé et présent, entre là-bas et ici. Une parenthèse dans ma vie trépidante. Je ne peux pas trouver désagréable son vol. Il est pour moi un puissant calmant, qui me recentre sur l’essentiel.

Et vous, quel est votre point d’ancrage, qu’elle est votre madeleine de Proust ?


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