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Au XIᵉ siècle, la ville de Salerne en Italie, accueille aussi bien la population issue de l’ancien empire romain, que les croisés et la population méditerranéenne. Elle propose alors tout ce qui peut être utile à ses visiteurs, y compris une médecine enrichie par les échanges culturels, comme les apports, par exemple, de Constantin l’africain. 

C’est dans sa grande université laïque que la médecine forme les futurs médecins, hommes et femmes qui bénéficient du savoir aussi bien latin, qu’arabe et juif (traduit bien sûr). C’est un lieu d’ouverture scientifique qui passe visiblement sous les radars de l’église de l’époque, pourtant experte dans la chasse des non-chrétiens et pour le maintien des femmes au foyer.

Ainsi, des femmes d’exceptions ont pu s’élever intellectuellement et socialement dans un monde où leurs congénères n’avaient que trois choix : se marier, entrer au couvent ou se prostituer. Elles pouvaient pratiquer et enseigner la médecine.

Parmi elles, l’histoire de Trotula di Ruggerio est arrivée jusqu’à nous. On ne sait que peu de choses de son histoire et elles font polémiques. Pour certains, c’est une légende, pour d’autres, elle était sage-femme et la femme d’un médecin de l’université de Salerne. Pour autant, Constantin l’africain l’a décrite comme une femme médecin qu’il a vue pratiquer une césarienne et une réparation de périnée endommagé par un accouchement.

Sa notoriété croît dans les siècles qui suivent et on retrouve de nombreuses copies de ses trois ouvrages. Les deux premiers (un pour débutant et l’autre pour les plus aguerris) se réfèrent aux auteurs classiques comme Hypocrate ou Galien et décrivent une médecine générale d’une part, mais aussi des conseils de beauté, dermatologiques et hygiéniques. Le troisième est un traité de gynécologie. Elle y traite des préoccupations féminines, physiologiques, mais aussi psychologiques.

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See page for author, CC BY 4.0 , via Wikimedia Commons

Elle note dans son prologue : «  Puisque donc les femmes sont, par nature, plus faibles que les hommes, par conséquent sont plus fréquentes chez elles les maladies, surtout dans les parties vouées à l’œuvre de la nature ; et comme ces parties se trouvent en des endroits secrets, les femmes, par pudeur et fragilité de condition, n’osent pas révéler à un médecin les angoisses causées par ces maladies. C’est pourquoi, émue de leurs malheurs et à l’instigation d’une certaine matrone, j’ai commencé à examiner avec attention ces maladies qui frappent très souvent le sexe féminin. »

Ce dernier ouvrage traite de problèmes de santé généraux, mais s’adresse essentiellement aux femmes.

  • Elle y parle des soins aux bébés, des maladies urinaires et des conseils d’hygiène.
  • Elle développe ses connaissances sur le cycle menstruel et propose des solutions notamment pour soulager les douleurs de règles.
  • Elle aborde la virginité avant le mariage (qui ne semblait pas si courante qu’il l’aurait fallu et de l’angoisse que cela représente en cas de rapports avant le mariage), les problèmes de fertilité avec des conseils sous forme de cures suggérant même que ça n’est pas que l’affaire des femmes.
  • Elle parle de la grossesse et conseille des régimes et un mode de vie, du développement intra-utérin.
  • Elle décrit l’accouchement, osant prodiguer des soins anti-douleur en contradiction avec l’expiation prônée par l’église (tu enfanteras dans la douleur), et montre comment elle recoud le périnée lorsqu’il a été déchiré (méthode toujours employée de nos jours).
  • Elle aide aussi les femmes face aux douleurs et engorgement des seins.
  • Elle s’exprime encore sur les risques post-partum d’hémorragie et d’incontinence.
  • Et elle ose même parler de méthodes contraceptives.

C’est un ouvrage qui montre des connaissances anatomiques, thérapeutiques, mais aussi psychologiques et décrit avec douceur tous ces sujets très intimes.

Dans les siècles qui suivirent, ses textes furent attribués à plusieurs hommes et même encore de nos jours deux camps s’affrontent quant à la paternité ou maternité de ses savoirs. Mais depuis les années 2000, on est à peu près sûr que ce sont bien des textes écrits à une époque où une femme nommée Trotula était à l’université de Salerne et que les textes portent ce nom. Nous sommes fort probablement dans un nouvel « effet Mathilda » (cf. mon article sur Ada Lovelace).

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Sailko, CC BY 3.0 , via Wikimedia Commons

Pour autant, ses ouvrages ont été copiés à de nombreuses reprises et sont parvenus jusqu’à nous et les savoirs qu’ils contiennent sont loin d’être obsolètes pour tout. Et si des femmes ont pu être médecines (eh oui, ce mot existait jusqu’à la masculinisation de la langue par l’académie française après la révolution) à son époque, ce métier fut interdit officiellement aux femmes dans les siècles qui suivirent le XIVᵉ siècle.

Ce qui est bien dommage, car la majorité du savoir de médecine accumulé ces derniers siècles a été élaboré sur la seule base du corps masculin pour ne pas mettre trop de variables dans les études. Pour la plupart, ils ne tiennent donc pas compte des particularités du fonctionnement du corps féminin. Un biais que nous aurions pu éviter, si les femmes étaient restées parties prenantes des études médicales, et qui ne mettrait pas en danger de nombreuses femmes par une prise en charge inadaptée comme pour les maladies cardiaques pour seul exemple. (cf. « Sexe, genre et santé – Rapport d’analyse prospective 2020 de la haute autorité de santé)

https://histoireparlesfemmes.com/2014/06/24/trotula-de-salerne-pionniere-de-la-gynecologie/

https://www.sylvieteper.fr/2021/01/04/une-gynecologue-au-moyen-age/

https://www.medarus.org/Medecins/MedecinsTextes/trotula.htm

Et pour des informations plus complètes et passionnantes :

https://books.openedition.org/psorbonne/27803

Dans les familles, on rencontre souvent des femmes aux histoires passionnantes. Connaissez-vous des femmes de votre famille ? N’hésitez pas à me demander des conseils sur la manière d’interroger vos anciens.

Catégories : Challenge AZ

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