Pour la suite de notre série sur des histoires de vie transmises par nos narratrices et narrateurs, je vous propose d’avancer dans le temps sur la période de la Seconde Guerre Mondiale. Nous voici maintenant dans la France occupée et il faut cohabiter avec l’ennemi qui s’est installé. Mais comment cela se passe-t-il ?
Et vous qu’en savez-vous ? Racontez-nous ici !
Claire nous raconte.
Une sensation de danger
En face de chez nous, la grande maison est inoccupée depuis l’exode. Elle est donc réquisitionnée par l’armée allemande pour loger des officiers. Les soldats ayant fonction d’ordonnances, eux, sont logés dans la maison accolée à la maison de la famille.
On ne voit pas forcément les officiers, car, devant les fenêtres, nous avons le parc de la grande maison. Cependant, je me souviens des piliers avec les lions en bronze de la propriété, qui nous impressionnaient quand nous allions faire des courses. Nous nous écartions au maximum, bien que la rue ne soit pas large, pour ne pas passer trop près. Cette vision s’associait dans notre esprit d’enfant à la présence des officiers allemands : il y a un danger dans cette demeure.
Des voisins tout simplement
Mais les ordonnances et les cuisiniers sont dans la maison qui juxtapose la nôtre et qui donne sur la cour devant la maison.
Les relations sont alors plutôt bonnes : c’étaient des soldats plus âgés, qui étaient là parce qu’ils y étaient obligés, mais pas du tout « va-t-en-guerre ». D’ailleurs, il y en a un qui était totalement contre la guerre et un autre, plus jeune, qui venait montrer à notre mère la photo de ses parents. Et un autre, encore, montrait les photos de sa femme. Enfin, tous plus ou moins désolés d’être là. Ils seront relevés, remplacés…. Ça a duré plusieurs années…
C’est dans cette période que ma petite sœur tombe dans l’escalier de pierre dehors, devant chez nous. Elle est emmenée à l’hôpital de Juvisy, qui est une antenne de la Croix-Rouge. Et les relations sont tellement bonnes dans ce voisinage que lorsqu’elle revient le bras plâtré un Allemand descend devant chez eux pour offrir une orange « pour le bébé ».
Ma sœur aînée, de son côté, a constaté qu’un Allemand surveille les discussions que tiennent les quatre filles dans la cour. Un dictionnaire à la main, il essaie de comprendre des mots français. Elle décide donc avec mon autre sœur d’inventer de nouveaux mots, que, bien sûr, l’Allemand ne peut pas comprendre, et ça les fait bien rire.
Une autre fois, un des Allemands se fait même recoudre un bouton par notre mère.
L'entraide
Vers la fin de la guerre, les militaires doivent être envoyés à l’Est, vers la Russie. Ils sont tous désespérés et l’un d’entre eux demande en urgence à ma mère et à notre tante, qui est alors chez nous, d’écrire à ses parents, ce qu’elles font. Ce n’est que bien plus tard, après le décès de ma mère, qu’un matin deux messieurs allemands sonnent à la porte. Il s’agit pour l’un de son fils, pour l’autre de son neveu. Ils sont venus rencontrer celles qui ont écrit la lettre et remercier parce qu’ils avaient eu ainsi quelques nouvelles de celui qui était finalement mort sur le front russe.
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