Durant la guerre le travail du père de Jean-Claude à Paris change. Il refuse d’appliquer ce que demande l’occupant et démissionne de son poste dans un métier passion dans la sureté de la population pour repartir dans sa compagne natale.
La famille suit, et c’est un nouveau départ.
Jean-Claude nous raconte le quotidien avec les Allemands dans son petit village de montagne.
Le quotidien avec l'occupant
La présence allemande était moins pesante qu’à Paris en ces temps de guerre.
Pour faire revivre l’exploitation, il fallut partir à la recherche d’un peu de matériel et de bêtes de trait. Ne trouvant plus de chevaux, les Allemands les ayant tous réquisitionnés, on n’avait pas le choix de ses bêtes. Sur le marché, c’étaient des bœufs. C’est ainsi que mon père acheta deux bœufs de race montbéliarde.
Dans la cour de notre maison, il y avait un chariot, style charrette de western, tiré par des chevaux, recouvert d’une bâche arrondie. Ce chariot servait de bivouac à deux soldats allemands, y compris l’hiver. Alors, ils avaient demandé à mon père de mettre un peu de paille et des vieux chiffons autour pour empêcher au maximum le froid de pénétrer.
Les soldats allemands étaient en bivouac là. Leurs chevaux étaient à la charge des habitants. C’est nous qui devions les nourrir. Ils surveillaient les maquis dans les proches montagnes du Jura. Il y avait aussi une grande gare de triage. En temps d’Occupation, il y avait des soldats qui stationnaient partout. Les plus anciens, les plus vieux, on les mettait comme chez moi, au village. Ce ne sont pas ces mecs qui ont fait le débarquement en Normandie ! Par contre, en arrivant en Allemagne, ils ont eu des droits comme les autres. Des soixantards jusqu’à douze, quatorze ans, ils étaient incorporés. Il n’y en a pas beaucoup qui sont revenus.
Les deux Allemands dans la cour étaient sympathiques. Je revois bien leur visage. Ils avaient la cinquantaine. Un jour, avec ma sœur Mauricette, on s’amusait à courir autour du chariot. L’un des deux nous donna, à moi un petit agenda et à ma sœur Mauricette un petit flacon d’eau de Cologne. Ma mère fut prise de panique car un bruit courait que les Allemands empoisonnaient les enfants, ce qui était faux.
Sur le soir, après une bonne journée de travail, il nous arrivait de nous asseoir sur les marches de l’escalier, histoire de souffler un peu. Les deux Allemands faisaient de même. L’un d’eux sortit une fois de sa veste une photo sur laquelle il y avait une femme et deux enfants.
Il la montra à ma mère et lui dit : « Mein Fraulein, Mein Fraulein, ah madame…pourquoi la guerre, pourquoi la guerre ? » Cet homme devait certainement souffrir d’être ainsi éloigné de sa famille et, qui sait, de ne jamais les revoir…
Je me souviens encore, des soirs, des Allemands se réunissaient devant la boucherie au centre du bourg (là où le char était rentré dans la devanture), sur le trottoir et ils discutaient. Je ne vois plus leurs physiques.
Je vois très bien l’ensemble, la couleur des uniformes, les bottes noires en cuir qu’ils avaient tous. Ça faisait partie de notre quotidien.
Des drames et des incidents
En 1943, un drame s’est déroulé au village. Monsieur V., agriculteur, avait deux fils, dont un handicapé mental. Ils avaient l’habitude de se rendre dans un champ à proximité d’un tunnel de voie ferrée. Ce dernier était gardé par des sentinelles allemandes. La consigne était passée entre la garde montante et la garde descendante. Voyant les deux garçons, après avoir fait les sommations d’usage en pareil cas, l’un des deux soldats tira, touchant le fils V., le handicapé. Sérieusement blessé, il devait mourir. C’est mon père avec un chariot et deux bœufs qui ramena le corps à la maison.
Juillet – août 1944, la délivrance approche.
Un jour, je me trouvais au lieu-dit des Carrières – ces anciennes carrières ont cessé toute activité en 1914 à la déclaration de la guerre. Cela servait surtout à extraire des blocs de cent ou trois cents kilos pour faire les quais sur la rivière, les bordures pour renforcer le chemin de halage. À ce lieu-dit, soudain, j’ai entendu un long vrombissement. J’ai aperçu en tout trois avions : un allemand, et deux autres, anglais ou américains. Soudain, l’avion allemand piqua du nez, descendant à pic dégageant un panache de fumée pour aller s’écraser quelques kilomètres plus loin.
Un autre jour, un camion de marque Citroën réquisitionné par les Allemands, bondé de soldats allemands dont la plupart étaient blessés, venant de Dijon et se dirigeant vers Besançon, c’est-à-dire en direction de l’Allemagne, devait être mitraillé à l’entrée du village par un avion allié.
L’allemand, décédé sur place, fut enterré sommairement, sur le talus.
La tombe, qui est restée plusieurs années, avant que la dépouille ne soit rapatriée en Allemagne, était régulièrement entretenue par le cantonnier habitant le village voisin.
Ils n’étaient certainement pas méchants, mais une fois, un sous-officier allemand était allé demander de l’eau au café pour un soldat blessé qui avait soif. Le tenancier, anti-allemand profond, a refusé. Le sous-officier a brandi sa mitraillette. Mon père, qui se trouvait là, a insisté pour que le cafetier donnât de l’eau, lui faisant valoir que s’il avait reçu une rafale dans le ventre, il aurait été bien avancé… Le tenancier a donné de l’eau et ils sont partis.
Et vous ?
Quelles histoires votre famille porte-t-elle sur les années de guerre ?
Avez-vous interrogé vos anciens ?
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